C’est à Linciaux, hameau de la commune de Ciney, que Nicolas le Hardÿ de Beaulieu et son épouse, Marie-Catherine de Troostembergh, ont développé un projet d’agriculture biologique, dans l’espoir que la durabilité et la rentabilité de ce projet pourrait permettre à la génération suivante de conserver ce domaine familial.
La PAC (Politique Agricole Commune), jusqu’à sa réforme récente, poussait la production au détriment de l’écologie. Aujourd’hui, cette PAC invite les nouveaux agriculteurs à avoir une approche plus écoresponsable. Nicolas et Marie-Catherine ont opéré une transition de l’agriculture conventionnelle vers une agriculture biologique multi projets.
Comment ce projet a-t-il germé dans vos têtes ?
Nicolas et moi avons grandi à la campagne. Vivre et travailler avec la nature nous semblait une évidence et nous souhaitions que nos enfants aient la chance d’évoluer dans un environnement similaire.
Reprendre la propriété de Linciaux a toujours été un projet familial. Nicolas a d’ailleurs été « éduqué » à cet effet. Après notre mariage, en 2010, nous avons donc commencé à transformer la « ferme » de l’ancien château de Linciaux en maison d’habitation. Nicolas était déjà architecte de jardin et moi je travaillais dans la communication à Bruxelles.
En 2015, mère de trois enfants, j’ai quitté mon emploi pour rejoindre Nicolas dans ses projets liés à l’architecture de jardin. En parallèle, nous commencions à nous renseigner sur l’agriculture.
Mon beau-père, pensant à prendre sa pension, nous proposa de reprendre son activité agricole. Durant deux ans, des formations, des conférences et de nombreuses visites de fermes nous permirent de nous plonger dans cet univers. C’est lors de ces « sorties culturelles » que nous nous sommes familiarisés avec la permaculture et l’agroécologie.
Séduits par cette idéologie consistant à trouver un équilibre entre les besoins humains et le respect de la nature, nous nous sommes décidés à exploiter une partie de la ferme, à savoir vingt hectares de culture, vingt hectares de prairies et environ 80 vaches.
Vous avez donc pris le taureau par les cornes sans être toreros ?
En effet, lorsque nous nous sommes installés ici, nous avions une connaissance limitée de ce qu’était l’écologie. Nous utilisions des herbicides ci et là et nous privilégions l’esthétique du cadre estimant qu’une prairie entourée d’une haie était « jolie », sans réaliser qu’elle était en fait « joliment utile » car très écologique.
Nous avons donc planté des haies en bordure de champs et avons redéfini différentes parcelles avant de les réorganiser (pour éviter l’évacuation des terres lors de fortes pluies, etc.).
Soucieux de laisser plus de place à la nature, nous avons limité le labour, opté pour des semis d’engrais verts et, entre les parcelles, nous avons planté des bandes fleuries favorisant la biodiversité et freinant ainsi de nombreuses maladies.
Quatre hectares furent convertis en un verger comptant plus de 400 arbres haute-tige de variétés anciennes. Dans ce verger, en plus de moutons, nous avons installé des nichoirs afin que les oiseaux régulent les populations d’insectes nuisibles. Nous avons également placé des perches à rapaces afin d’inviter ces derniers à se délecter des mulots et campagnols dévorant les racines des fruitiers.
Mais revenons-en à nos vaches… à présent réduites au nombre de quarante, elles sont nourries exclusivement à l’herbe. D’autre part, un taureau saillit naturellement nos vaches ; quant aux veaux, ils restent minimum six mois avec leur mère. Après, nous ne nous contentons pas de vendre le bétail mais nous « mangeons toutes nos vaches ». Chacune d’entre-elles est abattue, découpée, mise sous vide puis vendue sous différentes formes : colis, hamburger, sauce bolognaise, carbonnade au cidre, etc.
Récemment, nous avons fait construire une étable plus profonde que la précédente afin de réduire le temps de nettoyage. Le fumier vivant, gracieusement offert par nos bovidés, est aussi valorisé car après un compostage de 40 jours, il est étendu comme engrais sur les cultures.
Une fois le métier bien entré, nous nous sommes lancés dans l’organisation de formations. Situé dans le potager et inutilisé pendant la période de Covid, notre local de formation fut réaménagé en « cabane insolite » où l’on peut passer la nuit et déguster des produits frais bio et locaux. Ce potager réaménagé à l’ancienne est également géré à l’ancienne. Or, le « tout fait à la main » séduit mais n’est pas rémunérateur. Ce bed and breakfast offre donc une réponse économique à cette problématique.
L’idéologie, aussi belle soit-elle, n’est rien sans un modèle économique fiable. Aujourd’hui, nous faisons le contraire des fermes traditionnelles dont la logique agricole est de produire en masse pour vendre bon marché. Nous produisons une quantité plus faible mais de qualité et nous nous occupons de la transformation et de la distribution. En plus de tendre vers une certaine forme d’autonomie, cette méthode nous permet d’être rentable tout en proposant des produits qualitatifs.
Finalement, en permaculture, l’important c’est la capacité d’une ferme à se redresser en cas de choc. En mettant tous ses œufs dans le même panier, le risque de finir sur la paille est trop grand. Prenons l’exemple du poulailler : la volaille demande énormément d’énergie et pourtant il suffit d’un seul oubli pour que 35 poulets soient dévorés par le renard qui passe… La diversification diminue les risques tout en permettant de faire face aux conséquences du changement climatique.
Et si tout était à refaire ?
En 2022, reprendre une propriété familiale ne s’improvise pas et, à ce jour, nous avons parcouru la moitié du chemin. Conscients de ce que cela implique, nous nous lancerions sans doute différemment dans cette aventure aujourd’hui. En cela, la naïveté et la fraîcheur de la jeunesse constituent un excellent engrais naturel…
Pour découvrir la ferme de Linciaux
Nous remercions le comte Pierre-Alexandre de Lannoy pour la rédaction de cet article.