Il est le premier président depuis Charles de Gaulle à avoir été réélu sans passer par une cohabitation. Il a devancé sa concurrente de près de 17 %: 58,54 contre 41,46%. Et pourtant, quand il arrive au Champ de Mars, une heure et demie après l’annonce du résultat, Emmanuel Macron n’a pas l’air radieux. Il sait que sa victoire n’est pas due à une adhésion massive, mais à un vote de barrage contre son adversaire. C’est une victoire sans gloire. Il a compris, dit-il, qu’il devra gouverner autrement. Autrement, oui, mais comment et avec qui ?

Autour du centre extrême qu’il incarne, il n’y a plus, ce dimanche soir, qu’une droite et une gauche radicale. Et encore faut-il se demander comment interpréter ‘gauche’ et ‘droite’. Car le public traditionnel de la gauche, la ‘France d’en bas’, a voté massivement pour le Rassemblement National de Marine Le Pen. Or le programme socio-économique de ce parti ressemble furieusement à celui de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon.

C’est justement celui-là, ‘le troisième homme de la campagne’, qui fanfaronne le soir de l’élection. Le tribun populiste se mobilise tout de suite pour le ‘troisième tour’, c’est-à-dire pour les élections législatives. Il exhorte le peuple de gauche à l’élire ‘premier ministre’ à la tête d’un ‘contrepouvoir’. Que cela soit contraire, dans la lettre et l’esprit’, à la constitution de la Cinquième République ne saurait troubler cet admirateur inconditionnel de Robespierre et de dirigeants tels que Fidel Castro et Hugo Chavez, qui, sans doute, incarnent ‘les valeurs européennes’ tellement mises à l’honneur dans l’impitoyable feu roulant contre Marine Le Pen.

Voilà qui illustre la double morale des bienpensants. Malgré des propos incendiaires, un populiste de gauche reste fréquentable. Mais un populisme de droite est de suite considéré comme mettant la démocratie en danger, c’est l’évocation des ‘pages les plus sombres de notre histoire’.

‘Fascistes’, ‘extrêmes’, Marine Le Pen et son Rassemblement National ? Jean-Yves Camus, politologue français et expert de l’extrême droite en Europe, juge que le prédicat d’extrême droite n’est plus applicable au RN d’aujourd’hui. Il préfère la définition ‘droite radicale’, suivi en cela par nombre de publicistes et journalistes, dont Jean-François Kahn.

Donc, le soir du 24 avril, la France se retrouve avec un bloc majoritaire du centre extrême, un bloc de droite radicale, un bloc de gauche radicale. On peut évidemment spéculer sur le paysage différent qui émergera à l’Assemblée après les élections législatives du mois de juin, mais il est plus important d’aller voir les causes profondes du bouleversement dans ce pays si réfractaire au parlementarisme, au réformisme rationnel ‘à la Scandinave’ qu’Emmanuel Macron rêvait d’y introduire.

Tenant compte des spécificités françaises, le public de Marine Le Pen est comparable à celui qui, en Angleterre, a voté pour le Brexit. Take your country back était le slogan des Brexiteers. En fait, c’est aussi l’aspiration de la France d’en bas. Elle veut triplement retrouver son pays. Elle veut sa place dans la société, elle veut avoir le sentiment qu’elle vit toujours en France et elle veut que ce soit son gouvernent qui décide du sort de ses citoyens et pas une lointaine ‘Europe’.

Cette triple aliénation est la conséquence du globalisme commencé dans les années 1980 et renforcé par la chute du Mur de Berlin en du communisme. La globalisation, soutenue par la classe supérieure occidentale, a été favorable à bien des régions ailleurs dans le monde mais elle a fait des ravages dans la classe moyenne des pays développés occidentaux, classe qui, avant, était majoritaire et portait les valeurs dominantes.

Le géographe politique français Christophe Guilluy a très bien décrit la fracture sociale qui s’est opérée. Les ‘petits blancs’ de la classe moyenne occidentale perdent leurs emplois et leur statut de référent culturel. Les classes dominantes, aussi bien économiques que culturelles, se retirent dans leur statut privilégié. Dans un pays étendu comme la France, cette fracture sociale se reflète en plus dans la géographie. Les métropoles mondialisées créent de la richesse et concentrent l’essentiel des nouvelles activités, mais la France périphérique, un terme que Guilluy a forgé, va s’appauvrir et se retrouver sur les marges économiques, sociales et culturelles du pays.

‘Les catégories populaires autochtones deviennent celles à qui il ne faut pas ressembler’, écrit Guilly et encore : ‘Elles sont présentées par les médias comme une sous-classe faible, raciste, aigrie et inculte.’

En plus, ces ‘petits blancs’ se rendent compte que leur état national ne les protège plus comme par le passé, que cet état est ‘brimé’ par une lointaine Europe, qui, à leurs yeux, est la gardienne du free trade et fait donc partie du problème et non pas de la solution.

Au lieu d’écouter attentivement cette classe qui s’interroge sur l’Europe, la société mondialisée ou l’arrivée des migrants, le monde des médias, des universités, de la culture et de politique lui oppose le manque d’éducation, le repli identitaire et quelques souvenirs nauséabonds. La gauche de son côté prêche la ‘société ouverte’ de l’élite contre la ‘société fermée’ des gens d’en bas qui, eux, sont bien sûr xénophobes, homophobes, ultranationalistes etc. Cette même gauche se demande alors pourquoi elle perd tant d’électeurs, pourquoi en France elle est pour la deuxième fois absente du duel présidentiel final. Elle fait penser à ce dramaturge qui, un soir de première, téléphonait à un ami : ‘La représentation fut excellente, mais le public était atroce’.

Pour dissuader les Français d’aller voter pour Le Pen, on a continuellement invoqué les ‘valeurs morales’, les ‘valeurs européennes’ pendant la campagne. Des vedettes du monde culturel et du sport y sont allés de leur refrain contre le populisme’ et ‘le racisme’. Mais ce que Guilluy appelle un ‘antifascisme d’opérette’ convainc de moins en moins car ceux qui le pratiquent oublient une autre valeur européenne, inspirée par le christianisme et l’humanisme : celle du respect des gens qu’on dit ‘de peu’.

Aux États-Unis, la Démocrate Hillary Clinton avait traité la moitié des partisans de Donald Trump de ‘pitoyables’ (basket of deplorables). Ça lui est revenu en boomerang. Qu’un populiste vulgaire comme Trump ait été élu après deux mandats de Barack Obama jette une ombre sur l’image de ce président-gentleman. Macron, qui se soucie de son image dans l’histoire, a intérêt à y réfléchir. Un mépris continu pour la France d’en bas risquerait de faire sauter le verrou au prochaines présidentielles, ce qui ne serait pas à l’honneur du président sortant. Car même si le Rassemblement National ne reçoit plus systématiquement l’étiquette d’extrême droite, son arrivée au pouvoir ne serait pas une bonne nouvelle pour la France, ni pour l’Europe.

Il y a cinq ans, le président Macron a promis que le Rassemblement National ne serait plus dans le deuxième tour de l’élection présidentielle. On a vu ce qu’il en est advenu. À lui de veiller maintenant que la troisième fois ne soit pas la ‘bonne’.


Nous remercions la baronne Mia Doornaert pour la rédaction de cet article.

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