Sophie van de Werve : pourquoi passer du métier de Business Analyst à l’enseignement ?
Philippe de Potesta : Aujourd’hui j’ai le plaisir de m’entretenir avec Sophie Aliénor van de Werve de Schilde qui, à seulement 26 ans, a déjà derrière elle un très beau parcours universitaire et professionnel dont voici les grandes lignes ! Bachelier en ingénieur commercial ICHEC, Master en ingénieur commercial KU Leuven, Bachelier Abrégé en Philosophie KU Leuven et enfin, AESS en Sciences économiques ULB. Après deux années comme Business Analyst chez Isalys et ensuite Bright Wolves, elle quitte le privé fin 2021 pour l’enseignement. Elle commence en tant que professeur de mathématiques au Bois Sauvage avant de rejoindre l’Institut de la Vierge Fidèle pour y donner des cours de mathématiques et de sciences-économiques.
Ph.P : Sophie Aliénor, quelle a été votre motivation pour passer du Privé à l’Enseignement, car c’est tout de même très différent ?
Sophie Aliénor : Je suis de nature curieuse, j’adore apprendre. Le monde scolaire m’a donc très bien convenu depuis ma plus tendre enfance.
Même si, à l’époque, devenir enseignante n’était absolument pas une option.
J’ai débuté mes études supérieures en confiance, en suivant une voie déjà bien tracée : celle d’ingénieur commercial. Une voie qui, on me l’avait promis, « ouvre toutes les portes ». La première porte que ces études m’ont ouverte fut la consultance. Ce premier travail répondait à grand nombre de mes exigences : j’avais envie d’un métier qui me stimule intellectuellement, un métier dans lequel je devais résoudre des problèmes, réfléchir à des solutions, penser autrement des concepts. Malheureusement, comme dans de nombreux premiers emplois, je m’étais fait une idée qui ne correspondait pas à la réalité : face à des tâches plus opérationnelles que prévu, j’ai dû constater que mes attentes professionnelles n’étaient pas pleinement rencontrées. C’était l’époque du COVID, on travaillait à 100% de chez soi, il y avait un couvre-feu, on était vite isolé et cela m’a beaucoup pesé. Ce fut ma première prise de conscience : j’avais besoin d’un métier avec de l’humain, beaucoup d’humain (et un minimum d’Excel).
Etant un peu perdue, je me suis renseignée quant au sens du travail. Je voulais comprendre la place que la société et mon environnement réservaient au travail et aussi quelle place je voulais lui donner. Je voulais comprendre pourquoi certains s’identifient à leur travail, alors que d’autres séparent strictement vie professionnelle et vie privée. J’ai beaucoup lu, beaucoup réfléchi, beaucoup parlé et finalement, de manière assez étonnante, au détour d’une conversation, l’idée a jailli : je voulais devenir prof.
Cette idée, une fois exprimée, s’est gravée en moi comme une évidence. Pour la première fois, j’ai compris ce que l’on veut dire par « ouvrir des portes ». Je pouvais me projeter dans l’avenir, je voyais un nombre inouï d’opportunités concrètes s’ouvrir à moi. Cependant, j’ai dû me faire un peu violence pour casser les stéréotypes que j’avais construits quant à ce milieu. En effet, mon expérience m’enseignait que ce métier recevait rarement des éloges et je pense qu’inconsciemment, je me disais qu’être ambitieux et ma conception de « réussir dans la vie » n’étaient pas compatibles avec le fait d’être enseignant. Mais finalement, dans l’enseignement, la plupart de mes besoins étaient rencontrés : un défi intellectuel, un métier humain, un rôle de transmission, un métier où vie privée et vie professionnelle sont compatibles (même si la distinction entre les deux est plus difficile je trouve). Cette année, je commence ma deuxième année d’enseignement et je suis toujours aussi sûre de mon choix.
PhP : Je présume que vous avez dû vous adapter, après mûre réflexion, aux compétences demandées pour donner cours et ce, par rapport à celles qui vous étaient nécessaires dans le privé.
S. A :
Évidemment, il y a des exigences différentes entre le privé et l’enseignement. Je pense que la plus intéressante est l’autodiscipline. Dans le privé, on travaille souvent en équipe, avec une hiérarchie qui nous supervise. En tant qu’enseignant, on est beaucoup plus livré à soi-même. Bien sûr, on travaille également en équipe - c’est nécessaire, car la quantité de travail à effectuer est bien trop grande pour une seule personne, surtout au début - mais finalement, si on a mal préparé son cours, c’est seul devant les regards (pas toujours très intéressés) de 25 adolescents que l’on devra se tirer d’affaires. La notion de hiérarchie est beaucoup plus subtile. On a peu de comptes à rendre, si ce n’est à notre propre conscience à la fin de l’année, lorsque l’on peut se dire que, oui, on a bien préparé ses élèves pour l’année suivante.
PhP : Et enfin, je suis curieux de savoir si votre formation en Philosophie vous permet de dialoguer avec vos élèves en les faisant sortir du carcan que constituent les réseaux sociaux et Google et qui influence tant leur état d’esprit ?
S.A :
C’est en tout cas une ambition que je me donne. Cette année, en tant que titulaire, je suis heureuse d’avoir plus de temps pour discuter avec mes élèves et pouvoir les pousser dans des réflexions sur ces sujets. J’ai conscience que, pour mes élèves, ces réseaux sociaux ne leur font pas beaucoup de bien.
A un âge où on se questionne beaucoup sur soi, où on construit son identité, c’est compliqué d’être quotidiennement confronté à des vies « parfaites » telles que présentées sur ces réseaux. De plus, si moi, à 26 ans, j’ai du mal à ne pas être dépendante des réseaux et de mon smartphone, je me dis alors, à 13 ans, ça doit être particulièrement compliqué de se mettre des limites et d’en avoir une utilisation raisonnée.
En classe, on en discute, on fait des activités, on invite parfois des externes pour parler des dérives. On essaye également de mettre en garde certains parents lorsque l’on remarque une utilisation excessive chez leur enfant mais, évidemment, notre impact reste limité. Alors je leur donne des pistes de réflexion et j’espère qu’elles porteront leurs fruits en temps voulu.
PhP : IL ne me reste plus qu’à vous remercier chaleureusement d’avoir répondu à mes questions et je vous souhaite une très bonne année scolaire !
Nous remercions monsieur Philippe de Potesta pour la rédaction de cet article.