L’Art : une transformation intime qui m’ouvre un chemin de sens ?
Nous sommes tous héritiers d’une société occidentale hyper conceptualisée, raisonnante, souvent étrangère à la parole poétique, artistique. La vie pour nous est un problème à résoudre plutôt qu’un mystère à explorer. Il est vrai que l’art est un langage qui ne résout rien, qui ne dit pas le vrai et pourtant, « qui pourrait nier le rôle joué par l’art, sous toutes ses formes, dans l’éveil des consciences et des sensibilités religieuses de tous temps ? […] C’est souvent à travers l’art que les hommes ont réussi à donner une réponse, même provisoire et imparfaite, aux questions que la vie et l’histoire posaient à leurs convictions. […] Ils ont toujours su prendre, dans la matière qui les environnait, ce qui allait leur permettre de dire leurs inquiétudes, leurs joies, leurs peines et leurs espérances. »1
Nous ne sommes pas habitués à nous laisser interroger par une œuvre. Nous attendons une clarté immédiate, une lisibilité évidente et rapide. Dans une société dans laquelle dominent les sensations (« Je le sens bien ! » ou « Je ne le sens pas ! »), nous nous méfions de ce qui ne nous procure aucune émotion instantanée. Nous sommes aussi les enfants de la société de consommation et même une part du monde culturel n’échappe pas à son emprise. C’est ainsi que se développe aujourd’hui un art plutôt spectaculaire, plaisant à regarder, facile d’accès mais peu « transformant ».
Comment faire pour nous rendre disponibles à ce que nous pourrions appeler une « expérience esthétique transformante » ? Commençons par mettre nos sens en alerte devant une œuvre qui nous interpelle. « Être complètement là » (cette notion de Dasein de Heidegger) nécessite du temps donné gratuitement, une disponibilité qui consiste à laisser être ce qui est différent. Une œuvre doit d’abord s’expérimenter avant que, tout naturellement, nous tentions de faire advenir notre expérience au langage. Ne dit-on pas qu’une œuvre « nous parle » ?
Après ce temps de disponibilité à l’œuvre dans sa vulnérabilité, sa réalité, ses formes, ses couleurs, vient le temps de son appropriation sur le terrain de notre propre vie. Si nous cherchons seulement à accroître nos connaissances sur un artiste ou son œuvre, nous passerons à côté de la grande fécondité potentielle d’une œuvre : créée pour hier, elle nous parle aussi d’aujourd’hui. Nous sommes invités à nous départir de nos certitudes, de nos appuis habituels car, c’est dans une sorte de tremblement (que le philosophe Paul Ricoeur nomme la Configuration2) que peut se glisser une expérience esthétique authentique, de celles qui transforment la vie et lui apportent un surcroit de sens. « Chaque intuition artistique authentique va au-delà de ce que perçoivent les sens et, en pénétrant la réalité, elle s’efforce d’en interpréter le mystère caché. Elle jaillit du plus profond de l’âme humaine, là où l’aspiration à donner un sens à sa vie s’accompagne de la perception fugace de la beauté et de la mystérieuse unité des choses »3.
Ce moment d’appropriation peut se vivre comme une danse, une valse à l’équilibre constamment perdu et retrouvé, une sorte de va et vient entre nous et l’œuvre. Et alors il arrivera que nous basculions dans une réalité nouvelle, élargie et soudainement silencieuse : les grandes transformations s’opèrent dans l’écrin de notre vie intérieure et y ouvrent une voie, un chemin que nous pourrons continuer à parcourir longtemps après avoir quitté l’œuvre…
Pour en savoir plus : Meet Art
1 Arnaud MONTOUX, L’expérience corporelle de la matière est-elle condition d’une réflexion théologique pleinement chrétienne ? De la rêverie du potier aux fondements d’une théologie, Mémoire de licence canonique de théologie, 2010, p.6.
2 Paul RICOEUR, « La fonction herméneutique de la distanciation » dans Du texte à l’action Essais d’herméneutique II, France, Esprit/Seuil, 1986, p.111.
3 Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 1999, paragraphe 6
Nous remercions Marie-Elizabeth van Rijckevorsel, guide conférencière, pour la rédaction de cet article.